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Publié le par JY et A

On peut trouver ici la liste des propositions de réformes constitutionnelles faites par le comité Balladur, que lemonde.fr a résumé ici . S’il est évident que l’opportunité de nombre de mesures ne peut être débattue avec acuité que par des experts, il n’en reste pas moins que, ce projet de réforme étant peut-être destiné à être soumis à un référendum, il convient d’en discuter en tant que citoyens.

On pourra ainsi s’attarder sur la maigre proposition faite dans le rapport du comité quant à l’introduction d’une part de proportionnelle dans l’élection des députés : 20 à 30 sièges, c’est peu (un peu plus de 5% du total au maximum), d’autant que ça ne concernerait que les partis ayant obtenus au moins 5% des voix au premier tour. On voit mal comment le changement pourrait être autrement que cosmétique, dans ce cas.

Mais on sera particulièrement attentif à une partie infime des « 77 propositions » du comité, mais pourtant cruciale : celle concernant les rôles respectifs du Président de la République et du Gouvernement. L’article 5 de la Constitution actuelle prévoit :

« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat.

Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. »

A cet article, le comité Balladur veut ajouter « Il définit la politique de la nation » et, logiquement, retoucher l’article 20 (qui lui prévoit que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ») en retirant au gouvernement la faculté de déterminer la politique de la nation. Le Gouvernement ne serait donc que l’exécutant de la volonté du Président.

Si l’actuelle Constitution est déjà généreuse envers l’exécutif, ces petits changements pourraient bien aggraver encore la situation. En gravant dans le « marbre constitutionnel » des déséquilibres constatés de facto, la France fonce droit vers un régime qu’on peut craindre fort mal équilibré, bien loin d’ailleurs des « checks and balances » américains, dont on nous dit pourtant que la réforme s’inspire.

Ainsi, le Parlement possède le pouvoir de voter une motion de censure contre le Gouvernement qui, jusqu’à lors, on l’a dit, « détermine et conduit ». Certes, dans les faits, cette option est inusitée, pour de multiples raisons. Cependant, si la réforme Balladur fait du Président celui qui « définit » la politique de la nation et du Gouvernement celui qui la « conduit », le Parlement, qui ne pourra encore censurer que le Gouvernement, ne sanctionnera qu'un exécutant. Cela signifie que le Parlement est implicitement soumis à la volonté du Président : il peut sanctionner la manière, oui, mais pas le fond de la politique même, puisque le Président reste, comme avec l’actuelle Constitution, intouchable.

On se demande d’ailleurs comment envisager les situations de cohabitation à l’aune de cet article 5 révisé : le Gouvernement, issu de la majorité gagnante, ne pourrait-il encore, et malgré sa légitimité nouvelle, que suivre le bon vouloir du Président ?

On ne peut prédire ce qu’il résultera dans les faits de ce changement éventuel, d’autant qu’il ne semble qu’entériner un dommageable état de fait, la supériorité du Président sur toutes les institutions. Cependant, du point de vue de la philosophie politique, le changement est tonitruant. Comme si la volonté du Président devait être entendue par-dessus toutes les autres, comme si, in fine, il ne pouvait se tromper que sur des détails, tout en ayant perpétuellement raison sur le fond. Cela ressemble beaucoup à un monarque.

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T
http://www.lemonde.fr/web/video/0,47-0@2-3234,54-975304@51-973952,0.html
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P
anéfé (merci pour l'expression)
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A
Le Président ne rendra pas de comptes ! Par cette réforme, il n'est contraint à rien, s'il se présente devant le Parlement, ça ne donne lui à aucun vote, s'il va devant une commission d'enquête, c'est parce qu'il le veut. Je ne dis pas que c'est vraiment mieux aujourd'hui, mais cette réforme ne va vraiment pas dans le bon sens. Quitte à "présidentialiser le régime", il faudrait s'inspirer un peu du modèle américain (système de vétos) plutôt que donner encore au Président d'autres tribunes...
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P
le président rendra des comptes devant le parlement puisque la réforme prévoit une possibilité pour lui d'aller débattre devant le sénat. et pour ce qui est des contre-pouvoir avec les commissions, les pétitions, les recours, etc. je pense que si l'inertie ne règne pas, on peut avoir un certain équilibre<br /> en tout cas ce ne sera pas possible avec sarko et sa majorité docile. c'est certain...
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J
Je pense que tu as raison sur la "réalité concrête" mais comme on ne gouverne qu'avec des symboles, ce qui paraît est presque aussi important que ce qui est...<br /> Néanmoins si plus de pouvoir va au président, il serait de bon ton qu'on puisse s'en protéger...
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